Index de l'article

La grande migration des gnous

Gnous et zèbres dans la MaraD'après National Geographic, la grande migration des gnous entre Serengeti et Masai Mara est la dernière grande migration par voie terrestre que connait notre planète. Pour ce que cela vaut, la grande migration a été désignée en novembre 2006 comme une des "Sept nouvelles Merveilles du Monde" par un panel d'experts au cours de la populaire émission d'ABC "Good Morning America".

 

Gnous au couchant

C'est quoi, la grande migration ? ou un trekking de 600 à 1000 km tous les ans...

C'est le déplacement cyclique et en masse de gnous, zèbres et autres herbivores entre les plaines à graminées ("open plains" "grasslands") du sud du Serengeti et de la zone de conservation du Ngorongoro (NCA pour Ngorongoro Conservation Area) en saison humide (de novembre à mai) et la savane boisée ("woodlands") du nord du Serengeti et de Masai Mara au Kenya en saison sèche (de juin à novembre). La grande migration des gnous est annuelle. On peut même dire qu'elle a lieu pendant une grande partie de l'année, ou même toute l'année avec une pause relative en janvier-février.

En colonnes pouvant dépasser 30 ou 40 km de long, les gnous parcourent donc une boucle qui les conduit de l'aire de conservation du Ngorongoro et du Sud du Serengeti en hiver aux plaines boisées du nord du Serengeti et à Masai Mara au Kenya en été. La grande migration quitte entre mai et juin les plaines du Sud pour rejoindre les zones plus humides du Nord ou de l'Ouest puis de septembre à novembre les gnous refont le parcours du Nord vers le Sud, toujours à la recherche des pluies, de l'herbe verte et tendre et des minéraux qui vont avec. On s'accorde en effet à dire que la grande migration dépend principalement de la survenue des pluies qui conditionnent la ressource en nourriture des migrants.

Masai Mara est la zone la plus humide de l'écosystème Serengeti Mara, il y pleut plus de deux fois plus que dans le sud-est du Serengeti : 1100 mm de précipitations annuelles contre 500. La pluviosité y est aussi deux fois plus importante pendant la saison sèche que dans le Serengeti. Masai Mara attire donc tout naturellement (...) le plus gros de la migration tous les étés, pendant cette saison sèche qui l'est moins ici qu'ailleurs.

gnou carte migration

Tous les gnous de la grande migration ne passent pas forcément par Masai Mara. Et à côté de cette grande migration existent d'autres transhumances de gnous, moins longues, par exemple un petit nombre de gnous (50 000 quand même...) vont retrouver ceux de leurs congénères du cratère du Ngorongoro qui ne migrent pas (selon les années et les pluies, entre 10 et 30 % de la population du cratère ne migre pas), et environ 100 000 gnous quittent les plaines de Loita au Kenya pour passer l'été dans celles de Masai Mara... Et ce n'est pas l'extension intensive des cultures autour de Mara qui inversera la tendance au sur place, à la non-migration : selon des sources gouvernementales, il y a eu 1000 % d'augmentation des surfaces semées en blé en 20 ans, entre 1975 et 1995, et sans doute une très forte augmentation aussi ces 15 dernières années...

La grande migration est un phénomène très ancien, des traces vieilles de plus d'un million d'années en ont été trouvées à Olduvai. Mais elle est restée longtemps mal connue, voire ignorée, puisque les premières études scientifiques ne remontent qu'aux années 1950, avec notre confrère le Dr Bernhard Grzimek comme initiateur.

migration patchwork gnou

Qui va là ? Ou les acteurs de la grande migration des gnous (et associés)

La grande migration ("The Great Migration") est constituée d'un à deux millions de gnous (1,7 million d'après le site du NCA), de quelques centaines de milliers de zèbres (au moins 260 000 d'après le site du NCA et jusqu'à 500 000, selon d'autres sources) et d'un certain nombre d'antilopes (plus de 300 000, 470 000 d'après le site du NCA !), majoritairement des gazelles de Thomson, mais aussi des élands. C'est donc plus d'un million de gnous accompagnés d'un bon peu de zèbres qui forment ce troupeau gigantesque qui parcourt en un an au minimum 500 km et jusqu'à 1000 à 1500 km, voire plus. En effet, la migration n'est pas synonyme d'une marche en avant continue, il y a des "remords", des retours en arrière, des zigzags, des petites boucles dans la grande boucle. Les gnous peuvent couvrir jusqu'à 80 km par jour, même si les mesures effectuées par satellite sur des gnous équipés de colliers émetteurs donnent des moyennes journalières bien plus modestes, de 4 à 7 km par jour, ce qui en une année représente quand même de 1 500 à 2 500 km !

migration 9214 
colonne de gnous en migration

Les acteurs de la grande migration

grande migration des gnous panneau

Le GNOU, la vedette que gnous savons  : commençons par la vedette en tête d'affiche. La vedette de la grande migration des gnous, c'est bien sûr le gnou. Plus précisément la sous-espèce Gnou occidental à barbe blanche, Connochaetes taurinus mearnsi (à ne pas confondre avec le Gnou oriental à barbe blanche,  Connochaetes taurinus albojubatus, s'pas ?), en anglais Western White-bearded Wildebeest. Le gnou est une antilope de grande taille, pesant de 170 à 260 kg (femelles de 140 à 210 kg) pour une taille au garrot de  110 à 130 cm et plus, et une longueur de 170 à 240 cm, sans la queue. Mâle et femelle portent des cornes dirigées vers le haut et l'arrière pour les sujets âgés de plus de 6 mois. Son nom de gnou est la transposition du swahili gnu qui est une onomatopée censée restituer le bruit quasi continu qu'émettent nos infatigables marcheurs-mâcheurs. Le gnou appartient à l'ordre des Artiodactyles (nombre pair de doigts), à la famille des Bovidés et à la sous-famille des Alcephalinés dont il est le représentant le plus nombreux. C'est donc un ruminant, astreint à brouter pendant des heures et à ruminer le reste du temps. Le gnou préfère les herbes basses de 10 à 15 cm. Le gnou peut brouter en se déplaçant, mais doit être au repos pour ruminer, couché sur le ventre ou debout. La Tanzanie compte 80 % de la population mondiale de gnous (œuf corse, quand la migration n'est pas à Masai Mara). On peut trouver ici la galerie photo gnous...

Les comparses, du premier second rôle aux utilités

Le gnou, la star de la migration, est accompagné dans son périple par d'autres herbivores. En premier rôle aussi, mais un cran en dessous (disons premier second rôle), nous trouvons un finement rayé, le Zèbre. Le Zèbre est un gros morceau, une proie de choix, avec un poids de 220 à 320 kg pour les mâles, 175 à 250 pour les femelles. Et quelle que soit la saison, toujours bien en chair. Il faut dire que plus que le Gnou, il peut se contenter d'une herbe haute et mature, riche en cellulose mais pauvre en protéines. Ses rayures ? Sans doute un moyen de limiter les piqûres des tsé-tsé. On a aussi évoqué la possibilité qu'elles troubleraient les potentiels prédateurs.

Le Zèbre de Bürchell est un équidé aux goûts alimentaires rustiques, alors qu'un autre migrant, la Gazelle de Thomson, une petite antilope, est plus délicat dans ses choix alimentaires.

En utilité, les rôles sont donnés à des grandes antilopes comme les Élands du Cap et en beaucoup moins grand nombre les Gazelles de Grant (leur migration est discutée, certains auteurs les donnent comme sédentaires). Ces utilités sont nombreuses certes, mais injustement ignorées du public qui, en revanche, n'a d'yeux que pour les rôles de méchants. D'autres herbivores ne font qu'une partie du chemin, comme les topis qui profitent du nombre des gnous et associés pour voyager sur une courte distance avec moins de risques. Ce qui est aussi une tactique employée par les zèbres : ils restent en avant-garde en saison sèche, quand la compétition alimentaire avec les gnous existe, mais leur collent aux basques (...) en saison verte ou à Mara, quand la nourriture est abondante pour les herbivores car alors les prédateurs viennent faire leur marché préférentiellement chez les gnous, car, comme chacun sait, les zèbres sont des proies moins faciles que le gnou.

Les méchants profiteurs

Les rôles de méchants sont tenus, et brillamment tenus, il faut bien le reconnaître, par les stars que sont les grands chats, lions, léopards et guépards et par les mal-aimés seconds rôles de composition, hyènes, chacals et vautours (et naguère lycaons). Il ne faut pas oublier des acteurs au rôle ponctuel, sinon épisodique, mais crucial, j'ai nommé les Crocodiles du Nil.
Et, omniprésentes, envahissantes, la présence piquante de nuages de tsé-tsé, contre lesquelles on pestera moins quand on se rappellera que sans leur susdite envahissante omniprésente présence, la plupart des réserves naturelles et parcs nationaux tanzaniens et kenyans n'existeraient pas. C'est en effet leur présence qui a empêché l'occupation de ces territoires par les humains et leur bétail alors que la faune sauvage est immunisée contre la maladie mortelle qu'elles transmettent, la trypanosomiase (Maladie du sommeil). Les "méchants" ne migrent pas, leurs déplacements se comptent en une ou quelques dizaines de kilomètres, ils se contentent d'attendre d'une année sur l'autre l'arrivée de la manne nourricière, qui ne tombe pas du ciel, mais arrive à force de sabots.
Nos prédateurs sont des carnivores patentés, chasseurs ou charognards, le plus souvent les deux à la fois. Seuls les vautours ne mangent exclusivement que des proies mortes de mort naturelle ou tuées par d'autres et seuls les guépards ne se nourrissent que des proies qu'ils ont tuées. Alors que, contrairement aux idées reçues, les lions et les léopards n'hésitent pas à confisquer une proie tuée par un tiers inapte à la défendre ou à manger un gros animal mort de mort naturelle. Tandis que, contrairement aux idées reçues-bis, les chacals et surtout les hyènes ne se contentent pas de manger des charognes ou de voler les proies des autres, mais chassent et tuent pour leur compte. Les hyènes sont d'ailleurs de redoutables chasseresses.
Les Crocodiles du Nil sont des reptiles aquatiques à croissance continue qui peuvent atteindre 6 m de long et plus, et peser plus de 500 kg (on cite un record mythique à une tonne !). Ils sont capables de longues périodes de jeûne, notamment en saison sèche quand leur nourriture de base, à savoir les poissons, est enfouie dans la boue. Et, toujours en saison sèche, le passage des gnous est l'assurance de réserves pour des jours et des semaines.

migration 7411Zèbres dans le Serengeti en janvier

La table et son couvert

La table, c'est le Serengeti, le parc national, mais aussi les réserves adjacentes, tanzaniennes et kenyanes (Masai Mara), un ensemble de plus de 25 000 km2. Une vaste plaine avec peu de reliefs, sauf dans la partie orientale du N.C.A., Ngorongoro Conservation Area, zébrée de rivières coulant d'est en ouest pour se déverser dans le lac Victoria. À tout moment de l'année, la grande migration y est visible, plus ou moins facilement.

Et le couvert, ou je devrais plutôt dire "la couverture végétale" ?

Eh bien, essentiellement des graminées (terme que je préfèrerai ici au plus scientifique "poacées"). Les arbres sont rares, plus rares même qu'il ya quelques dizaines d'années, sous l'effet des incendies naturels, mais aussi et surtout de l'écobuage, quoiqu'en disent les défenseurs de cette pratique. Comme nourriture, les arbres n'intéressent qu'assez peu les grands mammifères, à l'exception des girafes et éléphants. Non, la couverture intéressante pour les foules de "grazers", comme les appellent les Anglo-Saxons, ce sont bien les graminées de la savane. Si la couverture herbeuse de la savane est constituée principalement de graminées, c'est pour différentes raisons, résistance à la sécheresse, à la consommation par les herbivores, aux incendies. Les graminées ont l'avantage de croître par la base et non par le sommet, ce qui leur permet d'être peu ou pas affectées par le broutage des gnous et accompagnants (de même que le gazon de nos pelouses ne souffre pas, au contraire, de la tonte). Elles développent également un riche système racinaire qui leur permet de stocker les réserves nécessaires à la repousse après broutage ou incendie. Enfin elles sont riches en silice, ce qui limiterait les pertes d'eau par les feuilles et accroît leur résistance au piétinement perpétuel que leur imposent des millions de sabots. Certaines graminées peuvent atteindre les quatre mètres en saison sèche, d'autres sont plus "terre à terre", voire développent le nanisme comme stratégie de protection contre le "broutage". Autre stratégie, les plus appétissantes se mêlent à de moins "goûteuses", mais cela ne fonctionne qu'avec les herbivores peu sélectifs que sont les gnous, pas avec des convives plus délicats comme les Gazelles de Thomson. Parmi les plus communes sans doute, on trouve la Finger Grass (Digitaria macroblephora), au nom évocateur, la préférée de beaucoup de "brouteurs", la Red Oat Grass (Themeda trianda) qui, à maturité, se teinte de rose et atteint les deux mètres, la Pan Dropseed (Sporolobus ioclados) et, last but not least, la Bluestem Grass (Andropogon sp.), aussi appelée d'un nom évocateur, "herbe à gnou". La Red Oat n'est pas celle qui est consommée en priorité par les gnous, mais contre mauvaise fortune, il faut faire bon cœur, s'pas ? Les plaines de l'aire de conservation du Ngorongoro et du sud du Serengeti ont un sol volcanique riche en minéraux, aussi les herbes basses de leurs prairies bénéficient ainsi d'une bonne teneur en calcium et phosphore, des éléments indispensables pour la lactation et la croissance.  

Tout ce petit monde est imbriqué, la nourriture des uns dépend de la présence des autres, directement dans le cas d'une relation proie-prédateur, mais aussi de manière plus complexe entre herbivores de niches alimentaires différentes. Cet écosystème fonctionne depuis des dizaines de millénaires au bénéfice mutuel de tous ses participants, végétaux y compris qui bénéficient de soins jardiniers attentifs : roulage (piétinage, en fait) permanent, tonte fréquente et soignée, apport d'engrais azotés (excréments) et de minéraux (ossements) ! Même les proies tirent bénéfice de l'action des prédateurs. Ceux-ci éliminent faibles, malades, individus en fin de vie, limitent les possibilités de transmission de tares génétiques, de propagation de maladies contagieuses (comme peste, charbon épizootique) et préviennent ainsi les épizooties (= épidémies des animaux), tandis que les charognards assurent un service de nettoyage/équarrissage sans faille. Et les prédateurs voient leur nombre dépendre de la ressource qu'il convient de ne pas surexploiter sous peine de lendemains de famine.

migration fevriertroupeau mixte, gnous et zèbres à Ndutu, NCA, en février

Le tableau ci-dessous, inspiré du livre magnifique de Carlo Mari (photos) et Harvey Coze (texte), "The Serengeti's Great Migration", donne les effectifs des "forces en présence". Le livre est paru en 2000, les chiffres donnés sont donc ceux de la fin du siècle dernier. Depuis, le nombre de gnous aurait assez fortement augmenté. Les auteurs nomment DRAMATIS BESTIALIS tous les protagonistes non carnivores impliqués dans la migration, soit actifs (migrateurs) soit spectateurs (résidents).

chiffres migration